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TPME industrielles : le Maroc tente le pari de la relance ciblée

16 juin 2025 Maroc Diplomatique

Aujourd’hui, le Maroc érige l’industrie en pilier stratégique de son développement économique, une relance ambitieuse des très petites, petites et moyennes entreprises industrielles (TPME) s’impose comme un levier incontournable. 

En annonçant une nouvelle génération de programmes d’appui, le ministère de l’Industrie et du Commerce, de l’Économie Verte et Numérique, via l’Agence Maroc PME, amorce une recomposition décisive du tissu industriel national. 

Ce tournant, plus structurel que conjoncturel, entend dépasser les effets de la crise pour doter le Royaume d’un socle industriel robuste, résilient et inclusif.

Ce n’est plus une politique de rattrapage ou de gestion de crise, mais bien une stratégie de transformation que porte désormais le ministère dirigé par M. Ryad Mezzour. 

Conscient des limites des dispositifs antérieurs et des nouveaux défis imposés par les transitions écologique, numérique et géopolitique, le gouvernement reconfigure ses outils d’appui autour de quatre grands programmes : ISTITMAR, MOWAKABA, TATWIR et NAWAT. 

À travers eux, il s’agit non seulement d’apporter des financements plus attractifs, mais aussi de simplifier l’accès à l’accompagnement, tout en ciblant des priorités industrielles de demain.

La TPME industrielle, souvent fragilisée par des difficultés d’accès au financement, à l’innovation ou aux chaînes de valeur globales, se retrouve ainsi replacée au centre de la dynamique de relance. 

Car si les grands groupes marocains et les multinationales installées dans les zones industrielles pilotes ont bénéficié de dispositifs d’intégration avancée, les plus petites structures peinent encore à moderniser leur outil de production, à se formaliser ou à innover.

Premier pilier de cette nouvelle architecture, le programme ISTITMAR redéfinit le soutien à l’investissement productif. Il offre désormais une contribution pouvant atteindre 30 % du montant de l’investissement engagé, avec un bonus additionnel de 5 % pour les projets situés hors de l’axe atlantique Tanger-Casablanca. 

Une logique d’équité territoriale préside ici, visant à désenclaver des zones industrielles secondaires telles que Béni Mellal, Ouarzazate, Guelmim ou encore Taourirt.

Deuxième axe rénové : MOWAKABA, qui couvre désormais jusqu’à 90 % des coûts de conseil et d’assistance technique pour les très petites entreprises (contre 70 % auparavant pour toutes catégories confondues). 

L’objectif est clair : professionnaliser l’écosystème des petites structures, améliorer leurs capacités de gestion, et les accompagner dans des démarches d’innovation, de certification ou d’exportation.

Ainsi, malgré une conjoncture marquée par la montée des exigences réglementaires internationales et le repositionnement des chaînes d’approvisionnement, ces appuis apparaissent comme des catalyseurs d’agilité, en particulier pour les secteurs à fort potentiel comme l’agroalimentaire, la chimie verte, les équipements électriques ou encore la fabrication de composants automobiles.

TATWIR et NAWAT : Miser sur l’avenir et sur l’humain

À ces deux dispositifs s’ajoutent désormais TATWIR et NAWAT. Le premier, TATWIR, se veut une offre intégrée sur mesure, tournée vers les investissements à haute valeur ajoutée dans les secteurs jugés stratégiques, notamment ceux alignés avec les objectifs de souveraineté industrielle : pharmacie, électronique, matériaux de construction durables ou encore industrie de défense.

Le second, NAWAT, adopte une approche plus inclusive. Il cible spécifiquement les porteurs de projets, les auto-entrepreneurs et les TPE qui ambitionnent de lancer un investissement inférieur à 3 millions de dirhams. 

NAWAT intervient en amont pour l’élaboration de plans d’affaires viables et accompagne les entrepreneurs en aval sur le développement de compétences métiers, managériales et entrepreneuriales. 

Une initiative qui résonne fortement avec les ambitions du Nouveau Modèle de Développement, qui appelle à renforcer l’initiative individuelle et l’entrepreneuriat local.

Un tissu industriel encore fragile, mais en mutation

Selon les données les plus récentes du Haut-Commissariat au Plan, les TPME industrielles représentent près de 93 % des unités industrielles du Royaume et génèrent plus de 50 % des emplois industriels directs. 

Pourtant, elles demeurent sous-capitalisées, peu intégrées dans les chaînes de valeur et souvent éloignées des grands dispositifs d’innovation.

En 2023, seulement 14 % des TPME industrielles disposaient d’une certification qualité reconnue à l’international, et moins de 10 % d’entre elles exportaient une part significative de leur production. 

Ces chiffres révèlent l’ampleur des défis à surmonter pour faire de la TPME non pas un maillon faible, mais une force motrice de la nouvelle économie industrielle marocaine.

Des initiatives comme l’INDH, les CRI, les écosystèmes sectoriels ou les zones industrielles aménagées ont certes multiplié les opportunités. Mais la faible mutualisation des moyens, le déficit de formation spécialisée et les barrières bureaucratiques freinent encore l’élan entrepreneurial dans les territoires.

Soutenir la transition technologique et durable

L’enjeu, désormais, est double. Il s’agit d’une part de rattraper le retard accumulé dans la transformation numérique et la montée en gamme technologique de nombreuses TPME. D’autre part, il faut intégrer dès aujourd’hui les exigences de durabilité : réduction des émissions carbone, efficacité énergétique, valorisation des déchets industriels, etc.

L’État mise pour cela sur des synergies renforcées avec l’écosystème universitaire et les centres techniques industriels (CTI). Les programmes TATWIR et ISTITMAR prévoient ainsi des modules spécifiques pour soutenir l’innovation verte et encourager l’adoption de technologies de rupture.

Par ailleurs, la création de plateformes régionales d’ingénierie industrielle et l’émergence de hubs d’innovation locaux – à l’image de ceux en cours à Agadir, Fès ou Oujda – visent à renforcer l’ancrage territorial de la R&D au service des TPME.

Un impératif de coordination et de gouvernance

Toutefois, au-delà des outils financiers, le véritable défi réside dans la gouvernance des politiques industrielles en direction des TPME. La multiplication des intervenants publics (ministère, Agence Maroc PME, CRI, CCG, CGEM, régions) exige une coordination rigoureuse, sans doublons, avec des guichets uniques opérationnels et des délais de traitement compatibles avec la réactivité nécessaire à ces petites structures.

Et malgré un contexte mondial instable, marqué par le retour des politiques industrielles nationales, le Maroc n’a d’autre choix que de miser sur ses propres forces productives. 

La TPME, si elle est bien accompagnée, peut devenir un vecteur de réindustrialisation endogène, de souveraineté économique et d’intégration régionale. Mais cela suppose une volonté politique constante, des outils lisibles et des mécanismes d’évaluation rigoureux.

Le lancement de ces nouveaux programmes constitue une étape structurante pour poser les bases d’un modèle marocain d’industrialisation inclusive, articulant performance économique, équité territoriale et innovation durable. 

À condition, toutefois, que ces dispositifs soient suffisamment dotés financièrement, accessibles dans leur mise en œuvre, et surtout suivis dans le temps par des indicateurs clairs de résultats et d’impact.

La dynamique est enclenchée. Mais sa réussite dépendra de la capacité à faire converger les ambitions stratégiques de l’État avec les besoins concrets du terrain. 

Car relancer la TPME industrielle, ce n’est pas seulement injecter des aides financières : c’est créer un écosystème favorable, une culture industrielle nouvelle et une dynamique collective vers la création de valeur nationale.