Le cas "Bab Darna" sera-t-il converti en dossier criminel? La Chambre correctionnelle près la Cour d’appel de Casablanca planche actuellement sur la question. Rendue début février, l’ordonnance d’incompétence du juge d’instruction fait l’objet d’un recours qui sera tranché dans les jours à venir.
Au-delà de la requalification retenue dans l’ordonnance, la magistrate Amina Dou Al Fakkar revient en détails sur l’affaire marquée par l’arrestation de six personnes.
Ainsi, 766 plaignants ont été auditionnés par la police, 335 se sont constitués partie civile au stade de l’information judiciaire. Leurs noms sont énumérés dans le dossier d’instruction. On ne sait pas si cela correspond au nombre exhaustif des victimes.
Dans certains cas, le mode opératoire s’apparente à la spoliation foncière. Parmi les plaignants, ces propriétaires d’une "terre agricole" informés qu’un "groupe d’individus procédait à la commercialisation de lots" de leur terrain basé à Bouskoura. Ou cet autre propriétaire qui voit du jour au lendemain naître, sur son bien, "des panneaux publicitaires" vantant le projet résidentiel "Majorelle Golden Californie".
Quid d'une même villa cédée à plusieurs clients différents? Sur ce point, Ouardi accuse son directeur exécutif de s’être concerté avec Mohamed Mouhoub. Le premier dirige Medi House, présentée comme une filiale du groupe Bab Darna. Le deuxième, détenu dans cette affaire, est notaire attitré des projets pilotés par le groupe. Ouardi, lui, dit avoir été "choqué de se voir accusé d’un tel agissement".
Cela étant, l’essentiel des victimes est constitué de réservataires floués. Ici, le schéma est simple: ils ont réservé un bien, conclu un contrat en ce sens et versé une avance… Le bien réservé n’a jamais été livré, ni l’avance remboursée.
Quant aux avances, elles "correspondaient à 30% ou moins" de la valeur des biens, affirme Amina Achkoun, la financière du groupe, elle-même impliquée. Elles ont servi à "financer l’acquisition de terrains, les frais d’obtention des autorisations et de publicité", se défend El Ouardi.
Or, depuis 2011, aucun projet n’a été "entièrement" réalisé et d'autres se sont arrêtés au stade de la commercialisation, Moulay Hicham El Bouamari, directeur commercial. Pourtant, le groupe "continuera de recevoir des avances jusqu’à l’arrestation d’El Ouardi", rapporte Othmane Fayla, commercial, également mis en cause. Il touchait 1% pour sur chaque versement.
Méfiants et insistants, certains clients semblent avoir réussi à obtenir remboursement. Amina Achkoun évoque "des sommes importantes déboursées [par le groupe], dès 2014, pour payer les réservataires contre acte de désistement".
D’autres mécontents seront endormis à coup de chèques en bois. L’ordonnance d’instruction en cite et référence une quarantaine, tous auprès de la même banque et pour un montant total d’au moins 6 millions de DH.
Un fait qu’El Ouardi explique, tantôt, par "l’insuffisance des crédits en raison de la grande activité du groupe", tantôt en avançant que les signatures contenues dans les chèques étaient "falsifiées". Pour sa part, Amina Achkoun affirmera que les chèques ont été tout bonnement émis "sous la pression et menace" des clients.
Une chose est sûre, c’est qu’El Ouardi avait déjà été condamné pour un chèque sans provision de 1 million de DH. Sa responsable financière retirera elle-même cette somme des caisses Capital Invest, pour la déposer au tribunal contre libération de son patron.
"On voulait s'introduire en Bourse"
Dans leurs dépositions, les victimes affirment selon les cas avoir eu affaire à Medi House, Capital Invest, Sama Al Bayda ou à simplement Bab Darna.
"Bab Darna" le groupe, le projet ou la chimère? Moulay Hicham El Bouamari croit occuper, depuis 2011, le poste de directeur commercial dans "Bab Darna Holding". Sauf que cette entité n’existe que depuis le 18 octobre 2019. Soit quelques jours avant l’arrestation de son président, El Ouardi, survenue en novembre.
Une démarche en catastrophe, intervenue suite aux "protestations des clients", note Fayla, le commercial. "Bab Darna a été créée pour chapeauter des filiales qui gèrent les projets immobiliers", affirme El Ouardi. Une filiale a été créée pour chacun des 10 projets. El Ouardi prendra le soin de placer ses salariés à la tête de ces entités.
"Ces sociétés ont été instituées pour être dissoutes après la réalisation des projets », soutient Amina Achkoun. Le but était de "restructurer le groupe pour s'introduire en bourse"!