«Le principe retenu est de baisser progressivement les taux d'imposition tout en procédant à l'élargissement de la base imposable. C'est le chemin nécessaire pour une plus grande équité fiscale».
Les propos de Mohamed Berrada, président du comité scientifique des assises et ancien ministre des Finances, font l’unanimité. Mais tout le challenge est de concrétiser ces deux grands principes sans heurts et avec détermination sans reculer à la moindre résistance comme ce fut le cas avec les commerçants en janvier dernier.
Le diagnostic sur le système fiscal est sans appel: la pression fiscale atteint des niveaux qui impactent la compétitivité alors que l’impôt est concentré sur une poignée de contribuables.
Les données révélées par Mohamed Benchaaboun, ministre de l’Economie et des Finances, sont tout simplement choquantes mais résument aussi les limites du système actuel: 50% des recettes des 3 impôts réunis -IS, IR et TVA- proviennent uniquement de 140 entreprises!
73% des recettes de l’IR proviennent des salaires contre 5% seulement pour l’IR professionnel. La contribution moyenne d’un salarié est 5 fois plus importante que celle d’un professionnel. 3% des professionnels seulement payent 50% de l’IR professionnel.
«Ce tableau est en contradiction avec le principe d’équité fiscale. Cela doit changer en mettant en œuvre la règle qui stipule qu’à revenu égal, imposition égale», souligne l’argentier du Royaume. En ligne de mire, les professions libérales et le commerce chez lesquels passera l’élargissement de l’assiette. Un élargissement qui permettrait un réaménagement de l’IR et une meilleure prise en charge des dépenses sociales.
«Chaque dirham qui proviendrait de l’élargissement de l’assiette ira à la baisse des taux et aux dépenses sociales», s’est engagé le ministre. Cela devrait permettre d’assurer le soutien des bas revenus et de la classe moyenne. Pareil pour l’IS dont 80% des recettes sont assurées par 1% des entreprises sans compter les déficitaires chroniques, 2 entreprises sur 3!
L’étroitesse de l’assiette fiscale provient aussi de la kyrielle d’exonérations estimées à 2,5% du PIB. D’ailleurs, tout le dispositif devrait être revu surtout face aux distorsions qu’il crée. «Les avantages fiscaux devront être limités dans le temps, avec des objectifs précis et mesurables et suivis à travers des évaluations.
Pas de rentes fiscales et pas de distorsions fiscales ad vitam aeternam», soutient Ahmed Reda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental. Il a d’ailleurs appelé à des ruptures avec toutes les pratiques qui caractérisent le système actuel.
Au ministère des Finances, l’encouragement des opérateurs économiques pourrait changer de forme: les dotations budgétaires plutôt que les exonérations fiscales.
■ Salaheddine Mezouar veut une réforme audacieuse
«L’entreprise a besoin d’un cadre légal stable, lisible et prévisible. Elle a également besoin que les règles de jeu s’appliquent à tout le monde», souligne le patron de la CGEM.
Pour lui, la non-application de la TVA par l’informel a quasiment évincé le secteur organisé de certains marchés. Mezouar, qui a appelé à une réforme audacieuse, estime que le système fiscal actuel souffre de plusieurs dysfonctionnements dont l’absence de neutralité de TVA et l’imposition des entreprises déficitaires.
■ Omar Faraj: Les défis pour accompagner la réforme
«La transformation numérique de la DGI n’a jamais été une fin en soi mais un moyen pour assurer la maîtrise et la rationalité des actes, pour dégager des ressources et du temps afin de créer plus d’intelligence opérationnelle, économique et sociale», souligne Omar Faraj, directeur général des Impôts. La transformation numérique de la DGI a été à l’origine d’un changement de son mode de fonctionnement. Mais ce n’est pas terminé. Après l’achèvement du premier palier du processus de numérisation, le fisc devrait passer au second stade de réformes. Celui-ci nécessite l’expertise et la capacité à traiter et analyser l’information.
La DGI doit relever trois défis : rompre avec l’imprécision et l’ambiguïté de certaines dispositions fiscales, instaurer un climat de confiance avec les contribuables et renforcer l’adhésion à l’impôt.
■ Ahmed Reda Chami, président du CESE: «Il faut de grandes ruptures»
Pour Chami, il est temps de faire de grandes ruptures y compris au niveau fiscal pour libérer le potentiel de croissance de notre pays. Il a appelé à une «rupture avec la capacité formidable que nous avons de décourager toutes les initiatives, une rupture avec la méfiance légendaire vis-à-vis des investisseurs, des contribuables et des citoyens en général et avec l’économie de rente». Pareil pour les passe-droits, les modes de réévaluation de l’impôt dû ainsi que des ruptures avec la sous-déclaration, le noir et l’évasion fiscale.
■ Une fiscalité simplifiée pour Noureddine Boutayeb, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur
La fiscalité locale devrait être simplifiée, l’assiette élargie et la pression mieux maîtrisée. Elle devrait également dégager des ressources pour le financement du développement local. Noureddine Boutayeb, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur, a indiqué que les besoins en investissements urbains nécessiteront 320 milliards de DH au cours des dix prochaines années: 215 milliards dans les infrastructures et équipements publics, 58 milliards dans la mobilité et 47 milliards de DH dans l'assainissement. Le développement des régions nécessitera 411 milliards de DH et 20 milliards de DH de contribution notamment dans le fonds de lutte contre les disparités dans le monde rural.
Khadija MASMOUDI