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Evaluation des dépenses fiscales : l’Etat est-il sur la bonne voie de l’exécution de la loi cadre sur la fiscalité ?

17 juil. 2024 Eco Actu

Utilisées comme instrument d’action de la politique économique depuis les années 60, les dépenses fiscales ont longtemps été décriées en raison d’absence d’évaluation de la pertinence desdites dépenses sur les secteurs ayant bénéficié.

C’est pourquoi la loi-cadre portant réforme fiscale a pris en compte cette défaillance du système en stipulant dans l’article 8 que les incitations octroyées doivent faire l’objet d’une évaluation régulière de leur impact socio-économique.

La révision substantielle des « dépenses fiscales » à travers les mesures introduites par les lois de finances des années 2023 et 2024 témoigne de la volonté affirmée des autorités publiques de réinitialiser le cadre pour rationaliser le coût de ces dépenses, en application des prescriptions de l’article 8 de la loi-cadre, nous précise un expert.

Désormais, toute nouvelle dépense doit être soumise à un processus rigoureux de rationalisation, qui se décline naturellement en deux dimensions essentielles : un encadrement quantitatif et une évaluation qualitative, visant à évaluer la pertinence de maintenir ladite dépense.

La situation actuelle est donc favorable pour la mise en œuvre des dispositions de l’article 8 précité. Et pour cause, si auparavant, le développement des dépenses fiscales s’est fait au détriment des dépenses budgétaires, désormais, le besoin s’est fait sentir d’imposer une priorisation entre dépenses budgétaires et fiscales. L’idée est de considérer que les dépenses budgétaires doivent rester le principe, les dépenses fiscales, l’exception, nous précise notre source.

La conjoncture actuelle offre un cadre propice à l’application des dispositions énoncées à l’article 8 susmentionné. Historiquement, les dépenses fiscales ont été souvent instituées  au lieu d’allouer des aides s budgétaires, parfois même en les remplaçant purement et simplement par des « niches », comme cela s’est observé avec le régime du logement social, où l’État versait la TVA au promoteur, alors qu’en réalité il s’agissait d’une aide budgétaire faite à l’acquéreur.

Aujourd’hui, conformément à l’article 8, il est devenu impératif d’établir une hiérarchisation entre les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales. L’idée est de préserver les dépenses budgétaires en tant que règle générale, tandis que les dépenses fiscales deviennent l’exception. Mais alors qu’en est-il de l’évaluation continue de l’impact des incitations ?

Selon notre expert, il est impératif d’établir un cadre institutionnel chargé de conduire des analyses préliminaires des incitations fiscales et d’effectuer une évaluation continue de leur impact socio-économique. A ce propos, qu’en est-il de la création d’un observatoire dédié à la fiscalité prévu par l’article 18 de la loi-cadre ? 

En effet, la loi-cadre précise que l’Etat doit veiller à la mise en place d’un observatoire de la fiscalité dont la mission serait de mener régulièrement une évaluation de l’impact des mesures fiscales sur le plan socio-économique.

En attendant cet Observatoire, il est utile de rappeler qu’elle est considérée comme dépense fiscale, une mesure incitative entrainant à titre définitif une perte de recette pour le trésor et qui est susceptible de faire l’objet d’une appréciation de ses effets économiques et sociaux ainsi qu’à l’examen de son efficacité.

Cette analyse conceptuelle permet de mesurer la pertinence d’insérer certaines mesures parmi les dépenses fiscales alors qu’elles ne revêtent en réalité aucun caractère incitatif et ne tombent pas sous le joug des dispositions de l’article 8 de la loi cadre précitée, nous explique notre expert.

C’est le cas, à titre d’exemple, de l’exonération sans droit à déduction des prestations réalisées par les sociétés ou compagnies d’assurances. Selon l’expert, ces prestations sont « exonérées » du fait qu’elles sont soumises à la « Taxe sur les Contrats d’Assurances », selon le cas aux taux de 7%, 10% ou 14 %. 

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une exonération mais plutôt d’une disposition visant à éviter de taxer deux fois la même prestation au niveau du code général des impôts.

Autre cas de figure, le régime suspensif concernant les entreprises exportatrices de produits et services, ne constitue pas une dépense fiscale. Il s’agit en effet d’une dispense de paiement d’une TVA qui équivaut à un remboursement anticipé dont bénéficient les exportateurs dans le cadre du droit commun.

Aussi, il convient de citer les cas de taxation avec sursis de paiement de l’impôt assorti de conditions et qui sont qualifiés à tort d’exonération alors cet impôt demeure exigible de manière imprescriptible en cas d’infraction aux conditions du sursis. 

Il s’agit entre autres cas du régime des profits fonciers réalisés suite à l’apport de biens immeubles et/ou de droits réels immobiliers par des personnes physiques à l’actif immobilisé d’une société.

« Ceci dit, l’évaluation des dépenses fiscales pose à l’échelle internationale une problématique complexe. D’abord, en raison de la difficulté qui réside dans l’estimation précise du coût engendré par chaque mesure fiscale, un exercice bien plus délicat que pour les dépenses budgétaires conventionnelles. Ensuite, l’évaluation globale de ces avantages fiscaux demeure souvent insatisfaisante, car le périmètre des dépenses fiscales reste parfois ambigu, ce qui complique la mesure de leur impact réel sur les finances publiques », tient à préciser l’expert.

Certes le nombre d’incitations fiscales qualifiées de dépenses fiscales a baissé en 2023 passant de 311 en 2022 à 292 incitations soit de 37.957 MDH à 35.434 MDH. Toutefois, les nombreuses niches d’exonérations continuent de peser sur le budget de l’Etat avec un manque à gagner de près de 2,5% du PIB en 2023 (BAM) en baisse par rapport à 2022 (2,9%).

Les dispositions fiscales des lois de finances pour les années budgétaires 2023 et 2024, qui s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre de la loi cadre formant réforme du système fiscal, ont apporté un lot de mesures ayant pour conséquence une refonte quasi totale du système fiscal de référence et une redéfinition du terme « dépenses fiscales » pour entreprendre un nouveau recensement de manière plus adaptée au nouveau système fiscal, nous explique notre expert.

Ainsi en matière de TVA, l’analyse des dépenses s’articule autour de deux axes.

Primo la refonte du système de référence. L’ancien système de référence qui considérait les taux réduits de 7% ,10% et 14% comme une mesure dérogatoire justifiée par le fait que les articles 98 et 99 du CGI s’intitulaient respectivement « taux normal » et « taux réduit » doit désormais être reconsidéré. En effet, suite aux nouvelles dispositions de la loi de finances 2024, l’article 98 est abrogé et l’article 99 stipule expressément que Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé désormais à 20 % et à 10 %.

Cette modification de fond entraine une reconsidération des dépenses fiscales en matière de TVA suite à la consécration par la loi du taux de 10% comme étant un taux normal. Par conséquent, l’ancien système d’évaluation des écarts par rapport à 7%,10% et 14% devient caduc. La restructuration des dépenses fiscales relatives à la TVA se traduirait ainsi, par une suppression de presque 14 Mds de DH correspondant aux dépenses fiscales évaluées sur la base de la notion du taux réduit.

Secondo, la mesure dérogatoire non reconduite. Suite à l’expiration de la période d’application du régime fiscal dérogatoire relatif aux programmes de logements sociaux au 31 décembre 2020, seul le stock de logements restant à écouler qui continuait à bénéficier de l’exonération de la TVA, explique l’expert. Par conséquent, le niveau de la dépense fiscale qui atteignait en période normale une moyenne de 2,5 Mds de DH par année doit être considérablement révisée à la baisse.

Ainsi, le total des dépenses susvisées auxquelles pourrait s’ajouter la dépense relative à l’exonération des prestations d’assurance commentée ci-avant, s’établit à 18 Mds de DH environ soit plus que 85% du total des dépenses fiscales en matière de TVA.

Concernant l’impôt sur les sociétés, la loi de finances pour l’année budgétaire 2023 a fixé à 20% le taux normal de l’impôt sur les sociétés (IS) vers lequel devront converger progressivement le taux de 10% et les taux de 31%.  

« A l’instar de la TVA, la notion du taux réduit justifiant auparavant l’évaluation de l’écart par rapport au taux normal comme une dépense fiscale n’a plus de raison d’être. Par conséquent, la partie correspondant à cette dépense totalisant environ 2.5 Mds de DH soit 50% devient sans objet », souligne l’expert en fiscalité.

Et d’ajouter qu’il convient de préciser que pour les mêmes motifs exposés ci-avant, concernant le régime du logement social, la dépense relative à l’exonération en matière d’IS évaluée annuellement à 500 MDH environ doit désormais être revue considérablement à la baisse.

S’agissant des Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM), l’impact fiscal de leur exonération est estimé à environ à 900 MDH. Or, ces entités sont principalement dédiées à la gestion de portefeuilles de titres financiers pour le compte des investisseurs.

« Lorsque les OPCVM distribuent des revenus, le principe de la « transparence fiscale » prévaut : l’investisseur final est directement soumis à l’impôt sur le revenu, et non l’OPCVM lui-même. Le traitement fiscal dépend ainsi de la nature des titres générant les revenus et de leur pays d’émission. Ces trois types de mesures dites dérogatoires représentent environ 80% de la dépense fiscale totale relative à l’IS », précise l’expert.

C’est dire que le gouvernement doit activement s’y mettre à l’exercice de l’évaluation continue et mettre fin au manque à gagner qu’engendrent les dépenses fiscales.